Quand il écrit ses histoires de boxe, Patrice Lelorain ne se laisse pas aveugler par les lumières de Vegas, le strass et les paillettes. Pour tragique que soient leur destin, les héros du ring officient bien souvent à portée de jab, dans les salles miteuses de Sedan ou de la petite ceinture parisienne.
J’ai découvert l’auteur et ses quatre nouvelles, au hasard d’une retransmission radiophonique. Invité des Nouveaux chemins de la connaissance sur France Culture, il expliquait que pour accomplir son destin, le champion devait connaître la déchéance. Celle-là même qu’il avait infligée à d’autres champions vaincus. Une manière douloureuse mais juste de boucler la boucle.
La lecture de Quatre uppercuts laissera pantois les amateurs de boxe. On y retrouve toute une cohorte d’âmes damnées qui fleurent bon les années quatre-vingt-dix : Aldo Grosso, Pierre Lorcy, Frank Winterstein, le père et le fils Chanet, Yacine Kingbo, Antoine Palatis, Cyril Seror, le coach marseillais Jean Molina, Jo Siluvangi et David Thio. Sans oublier Louis Acariès, sa femme ainsi que les ombres de Jean-Marc Mormeck et Brahim Asloum.
A mesure que les boxeurs traversent le texte, on comprend que la différence entre un destin de champion ou de soutier des rings est mince. Un coup de dé ou le caprice d’un organisateur. Perchés sur le ring, armés de leurs rêves, leurs désirs et leur fierté, les boxeurs incarnent ce qui reste de pureté et de beauté dans ce sport cruel. Autour d’eux, les ténèbres. Pas grand-chose à sauver parmi les rires gras (et ingrats) des spectateurs ou les manigances de managers au cœur sec.
J’aime bien voir la boxe comme une sorte de tragédie. Une unité de lieu, le ring, une unité de temps, les rounds, deux acteurs qui interprètent une œuvre pour un public qui, comme eux, ignore tout du dénouement à venir. Au fil des rounds, la tragédie se déroule tout en s’imprimant sur les corps. Vainqueur ou vaincu, ils en porteront les marques pendant des jours, des semaines, voire pour le restant de leurs jours. Peu de boxeurs descendent du ring intacts, mais tous en sortent grandis. Ils ont touché du gant quelque chose de profondément authentique. Sans doute parce que, dixit Patrice Lelorain, « la boxe (…) demeure un espace de vérité ».
L’auteur a également publié La légende de Mohamed Ali en 2008. Un livre que je vais me faire un plaisir de lire très bientôt.
NZ