Attendez, cet article n’a rien à voir avec la boxe ?
Non !
Mais pourquoi ?
Parce que c’est mon site donc je fais ce que je veux.
Ok. Et il parle de quoi cet article ?
De Taisen, un musicien que j’aime beaucoup.
Ah !
Il a sorti son second album, « Almost Peace », le 10 mars dernier.
Ça donne quoi ?
Un son minimaliste et répétitif, hypnotique et contemplatif, à la croisée des chemins entre le classique et l’électro.
Ça a l’air bien.
Oui et en plus j’ai interviewé le bonhomme.
Bon ben on va lire ça alors.
—
Le rendez-vous a lieu au Bar du Matin, un établissement toulousain qui porte moyennement bien son nom à 13h45. Un café pour votre serviteur. Une Badoit pour Taisen, qui aurait préféré un Perrier. Le dictaphone est posé sur la table. Clic.
De quoi Taisen est-il le nom ?
Taisen : En réalité, c’est mon deuxième prénom. C’était aussi celui du maître zen de ma mère, Taisen Deshimaru. C’est lui qui a introduit le zen en France. Elle l’a connu quand il est arrivé du Japon et elle l’a suivi pendant une vingtaine d’années avec mon père. Or, ce monsieur est mort pendant qu’elle était enceinte de moi. Taisen, c’est une forme d’hommage. Ça veut dire « l’homme solitaire dans la montagne ». Je trouvais que ça marchait bien pour un solo. Et en même temps, comme c’est un nom qui reste très lié à ce maître zen, c’était aussi une manière de me l’approprier. Après tout, il est sur ma carte d’identité.
Vu ce que tu me racontes et le nom de ton dernier album, « Almost Peace », j’ai envie de te demander où tu en es de ta recherche de la sérénité.
Oh elle n’est jamais terminée. Avec la sérénité, comme avec le bonheur ou l’amour, on est toujours à mi-chemin. Récemment, je me faisais la réflexion qu’il vaudrait peut-être mieux changer le « mi » en « en » : ne pas être à mi-chemin mais en chemin. Tu restes peut-être au même endroit sur le chemin mais tu te débarrasses de la frustration de ne pas arriver à destination.
C’est ce que tu voulais exprimer en choisissant ce nom d’album ?
Figure-toi que je n’avais pas de titre quand j’ai commencé à travailler dessus. Et puis j’ai fait des travaux dans mon studio et les artisans ont fait de la merde haha. Tu traduiras avec tes mots ?
Une couille dans le potage ?
Parfait haha. Bref, il y a des fissures qui sont apparues dans l’immeuble. Mon studio a été mis en stand-by. En gros, j’avais enfin trouvé un lieu pour être tranquille et faire ma musique en toute indépendance. Et puis non, la couille est tombée dans le potage et ça a stoppé net cet élan. C’est tout le temps comme ça : on recherche quelque chose et des obstacles apparaissent. Du coup, j’ai dû faire pas mal de compromis pour cet album : interrompre le boulot, travailler au casque plutôt qu’avec mes enceintes, ça a été galère pour enregistrer… Mais ça reflète bien ma nature intérieure : je suis toujours à un pas de la paix, de la sérénité, et ce pas qui m’en sépare c’est peut-être ce qui me fait créer.
Tu es plutôt vu comme un pianiste de formation classique. Or, ce disque est sans doute le plus électronique que tu aies fait. Tu avais envie d’explorer autre chose ?
Dans mon premier album, « Høme », j’avais déjà l’ambition de lier le piano et ma formation classique à la dimension électro. Mais il y avait un gros défi technique à relever. À l’époque, pour la production et le mixage, je m’étais fait aider par Thomas Terrien, un musicien toulousain extrêmement doué qui fait de l’électro que j’aime beaucoup. Cela dit, l’idée c’était de progresser pour pouvoir être indépendant et formuler mes œuvres de A à Z, de l’enregistrement jusqu’à la fin du mixage. Avec ce deuxième album, je sens que l’électro prend le dessus. C’est du feu, de l’électricité. Il y a une puissance énorme qui, par contraste, me montre que le piano ne suffit plus.
J’ai l’impression de parler à un punk. C’est normal ?
Oui, j’essaye de tout faire à la maison avec mes moyens et mes connaissances. Et d’être de plus en plus dans la maîtrise de mon œuvre parce que je sais exactement ce que je veux dire. Et même quand je ne sais pas, je veux me donner le temps de le découvrir. Or, ce temps-là, celui de la découverte et de l’improvisation, est forcément réduit quand tu travailles avec d’autres personnes, avec un contrat, de l’argent, un planning. C’est un peu frustrant. L’autonomie, c’est aussi une liberté par rapport au temps.
Sur cet album, j’ai l’impression qu’on entend beaucoup le son des vieilles machines. Tu peux nous en dire plus ?
J’avais commencé à chercher ce genre de sons pour mon premier album mais seulement à partir de mon ordinateur, sans avoir les machines sous la main. Moi, je suis d’abord un instrumentiste : mes mains doivent toucher les objets, la matière. Pour « Almost Peace », je voulais m’éloigner des instruments virtuels pour les retrouver dans la réalité. Donc j’ai chiné de vieux instruments : le synthétiseur Moog pour les basses mais aussi le Juno 60, qui est sorti sous la marque Roland au début des années 80, avec des sons extrêmement profonds et assez magiques. Et puis, il y a le Rhodes Mark 1. C’est un clavier électrique dont le prototype a été imaginé par un ingénieur américain pendant la Seconde Guerre mondiale pour distraire les soldats blessés qui ne pouvaient pas quitter leur lit. Ça leur permettait d’apprendre le piano à l’horizontale. Il a confectionné son prototype en fouillant dans les stocks militaires et ça a donné un instrument légendaire, qui a fait la joie des jazzmen ou de Stevie Wonder. Le son est inimitable : ce sont des petites lames de métal qui vibrent, avec un micro sur chaque lame pour amplifier le son. J’utilise aussi la boîte à rythmes Tr8-s drum machine et le Roland Chorus-echos, une vieille machine analogique des années 80 avec un ruban magnétique qui tourne à l’infini et crée des échos, des chorus, des réverbs…
Ce goût pour les vieux joujous, c’est parce que tu crois que la musique a perdu quelque chose en passant au digital ?
Ouhla, c’est un vaste débat. Chaque oreille donnera sa propre réponse. Au-delà de ça, à mon avis, la vraie différence, c’est le rapport à l’objet. Quel lien tu crées entre l’objet et la musique ? Pour moi, et je reviens à mon expérience d’instrumentiste, c’est de plus en plus important de lier la musique à la matière. Du coup, je comprends tout à fait que certaines personnes aient besoin de rapporter la musique à un vinyle ou un CD. C’est aussi un moyen d’échapper au temps de la consommation qui est un temps virtuel, infini, global, alors que le temps de l’objet a un début et une fin. Ça redonne de la valeur au temps qu’on passe à écouter de la musique.
En parlant du temps, j’ai un faible pour ton titre « The Clock ». Et pourtant, je déteste les montres. D’ailleurs dans un roman de Jim Harrison, il y a une scène que j’aime beaucoup où le personnage détruit sa montre pour lutter contre le temps qui passe. Et toi, quel est ton rapport avec le temps ?
Je n’ai jamais porté de montre mais tu sais peut-être que le temps défile à 60 bpm (battements par minute). Quand j’ai commencé à composer « The Clock », qui n’avait pas encore de titre, c’était au rythme de 60 bpm. Je me suis dit : « pourquoi tu ne prendrais pas le son d’une horloge pour battre la mesure de ce morceau ? ». On peut l’entendre au début. Le temps n’existe que si on le prend au sérieux. Avant d’être une horloge qui passe, c’est du tempo, donc de la musique. Pour détruire le temps, il suffit de jouer avec.
Merci de soulager mes angoisses. Je sais que dans une autre vie tu as dirigé quelques courts métrages. Et à la sortie de tes concerts, j’ai déjà entendu des gens dire qu’ils aimeraient bien entendre ta musique dans des films. Composer pour le cinéma, ça fait partie de tes projets ?
Carrément. Je compose déjà pour le cinéma mais pas forcément celui où tu payes 15 euros par séance. Dans un concert de Taisen, on met en route notre projecteur intérieur et on fait défiler plein d’images. Je veux que les gens puissent projeter leurs propres images sur ma musique. Donc, oui, j’adorerais le faire pour le ciné avec des réalisateurs que j’aime.
Genre ?
Xavier Dolan.
Ça tombe mal, il vient de dire qu’il allait mettre sa carrière entre parenthèses pour se reposer.
Haha ! Comme ça on aura le temps de se rencontrer.
Taisen // egoist records
NZ