Le combat du siècle, de Norman Mailer, est le récit de la préparation du fameux Rumble in the jungle opposant Muhammad Ali au champion des poids lourds George Foreman en octobre 1974. Déjà immensément reconnu en tant que romancier et scénariste, Mailer a le privilège de couvrir l’événement au plus près de l’entourage du Greatest et d’en extraire une oeuvre majeure du Nouveau journalisme.
Trompeuse torpeur tropicale
Parfois difficile à suivre dans son analyse des profondeurs de la philosophie et de l’âme africaines, puis une comparaison à leurs pendants afro-américains – la question raciale a hanté l’auteur tout au long de sa carrière, et dans le cas présent il se prend les pieds dans un tapis glissant – The fight (en V.O.) restitue en revanche admirablement l’ambiance du Kinshasa des années Mobutu, et la tension qui s’installe à l’approche du combat dans la trompeuse torpeur tropicale.
Mailer est touchant dans ses difficultés assumées à mettre en scène de manière homogène son propre personnage de bourlingueur blasé au milieu de la faune haute en couleurs de journalistes, promoteurs, managers, entraineurs, suiveurs et sparring partners, dont il dresse des portraits remarquablement vivants en alternant les narrations aux première et troisième personnes.
La guerre d’egos
Il excelle surtout à rendre la fascination qu’exercent les figures opposées de Foreman et Ali, et l’ambiguïté de son rapport à ce dernier :
« Non, Norman avait l’intuition inconfortable que tôt ou tard son admiration pour Ali pourrait devenir le respect que l’on éprouve pour un ennemi puissant et décidé. »
Norman Mailer, à qui est promis un cachet record d’un million de dollars pour extraire un livre du matériau éminemment romanesque qu’offre ce Foreman – Ali, en est assez clairement à un moment de sa vie où son ego est hors de contrôle. Il ne cherche d’ailleurs pas vraiment à le dissimuler : ses va-et-vient entre « je », « Norman » et « l’auteur » montrent son complet renoncement à traiter définitivement la question du point de vue. Mais en bon égocentrique, il est moins dupe de son homologue Ali que tous les thuriféraires de ce dernier. Et Dieu sait si l’on a eu droit à des hagiographies sur le bonhomme.
Le combat lui-même ? Sublime, forcément.
Le bouquin est le territoire de Mailer comme le ring et l’interview sont ceux d’Ali, et il y est omnipotent. Je le rejoins sur l’idée qu’en grattant le mythe du Greatest, on trouve des zones d’ombres dans le personnage alors que le boxeur, lui, grandit encore. C’était déjà mon opinion avant de lire Le combat du siècle. À ce titre, le dépit qui affleure chez Mailer d’avoir pour une fois côtoyé plus grand que lui, et la subtile aigreur que cette découverte peut susciter dans son écriture, m’amusent plus qu’ils ne m’agacent. En n’étant dupe d’aucun des deux : c’est ainsi que je les admire.
Et s’il faut parler d’admiration pour Norman Mailer, sa relation du combat lui-même, qui court sur trois chapitres épiques et une quarantaine de pages débordantes d’intelligence, de technique et de style, est absolument sublime.
AF de BoxingAndNotSoMuchFreefighting