Tout plutôt qu’un vrai boulot — Tex Cobb (42-7-1)

Culture Boxe


Créé en 2023, le Grand Prix Littéraire CultureBoxe couronne un perdant, un écrivain sonné qui n’a pas la carte germanopratine, mais qui a eu la bonne idée de mettre ses tripes sur la table. Premier lauréat : Didier Castino et son remarquable Boxer comme Gratien.

Gratien Tonna vient de raccrocher les gants. Un journaliste lui fait part de ses regrets :

– Gratien, si vous aviez été intelligent, vous auriez été champion du monde.

– Si j’avais été intelligent, je n’aurais jamais boxé.

Gratien Tonna a eu deux chances pour le titre mondial des moyens. Contre Rodrigo Valdez en 1974 et Carlos Monzon, l’année suivante. Ces deux combats avaient plutôt bien commencé. Le Marseillais boxait généreux. Crochets larges et menton en titane. En somme, il vendait chèrement sa peau. Valdez l’a eu après le break. Monzon l’a cogné derrière la tête. Les deux fois, il est resté couché, misant sur la disqualification de son adversaire pour récupérer la ceinture.

La vie est dure sur le ring mais on y reçoit ce qu’on mérite. Un crochet gauche peut couper court à toutes les combines. En choisissant la position horizontale, Gratien Tonna a abandonné son sort au bon vouloir de l’arbitre. Il a payé par là où il a péché. Et ces dénouements sans grandeur ont jeté un voile d’opprobre sur des combats que l’on pourrait qualifier de « couillus ». 

Boxer comme Gratien a été déclaré battu à l’unanimité des juges des différents prix littéraires pour lesquels il a concouru. Logique ? Pas pour les jurys du Grand Prix Littéraire CultureBoxe*, c’est-à-dire moi, je et personne d’autre que moi-même. Contrairement à Gratien Tonna, Didier Castino n’a pas capitulé, bien que son sujet se soit montré difficile à cadrer.

Pour résumer, c’est l’histoire d’un boxeur qui a connu la victoire, l’argent, la gloire. D’un Maltais né à Tunis, entraîné à Marseille, qui aurait pu conquérir le monde. D’un homme démuni, illettré, un peu voyou, trop généreux : vulnérable malgré sa force brute. C’est la rencontre, dans le mobil-home où il vit désormais, du champion déchu et d’un écrivain. C’est le récit d’une journée épique pour approcher, si elle existe, la vérité sur Gratien Tonna. 

La boxe est un piège à écrivains. Déterminé à vaincre l’angoisse de la feuille blanche, l’homme de mots enfile son plus beau peignoir pour pianoter sur le clavier de son ordinateur. Ses mots claquent, secs et nerveux, comme le jab du boxeur qui l’occupe. La graisse fond, les phrases se raccourcissent. Parfois, la magie opère. Oui, mais voilà, ces prouesses techniques ne suffisent pas à dire la vérité d’un être. Si elle a le mérite de faire vivre quelques plumitifs et de rassurer les éditeurs frileux, la biographie à la papa laisse trop souvent à désirer. 

Les plus beaux livres sur la boxe, donc sur la vie, proposent quelque chose de différent. C’est Alias Ali, gigantesque œuvre polyphonique où l’on entend toutes les voix et sons de cloche sur l’insaisissable kid de Louisville. Pour l’occasion, Frédéric Roux a démonté et remonté quelques milliers de points de vue, souvent contradictoires, sur la vie et l’œuvre du champion. Un livre dans lequel cette grande gueule d’Ali ne l’ouvre pas.

Bien vite, Didier Castino balance la possibilité de la biographie. C’est par la fiction qu’il approche le boxeur. Souvent, celui-ci se tait. Ou alors il passe du coq à l’âne. Il saute des épisodes. Il revient en arrière. Les silences, les cases vides alimentent la fiction. Soudain, il lâche une bombe. Il a écrabouillé un flic. Il a pris trois balles dans l’épaule. Il est tombé pour proxénétisme, même si bien sûr « c’était pas vrai ».

La fille de l’ancien champion déclare naïvement : « Moi je vous dis, vous n’avez qu’à l’écouter et votre livre il est écrit ». Pas si simple. Pendant toute la durée de l’opération, l’écrivain paye de sa personne. Il sort de sa coquille pour offrir son confort bourgeois, son envergure de plumitif et son appétit de moineau en miroir au boxeur. Il y a comme un contraste entre les mots simples, les pudeurs de Tonna et cette variation inépuisable autour de sa personne et toutes ces questions qu’il ne s’est sans doute jamais posé.

Il y a d’autres miroirs. Gratien Tonna n’a jamais affronté Jean-Claude Bouttier. Il le regrette et nous avec. Ce match imaginaire combine parfaitement de multiples oppositions : le boxeur du système contre le paria, le Français contre le Tunisien, le Parisien contre le Marseillais, le technicien contre le branleur, la grosse tête contre la tête de mule. 

Et puis il y a Monzon. Ils avaient la même coupe. Un peu la même dégaine. Comme Monzon, Tonna se transformait quand il avait bu. Leur match gagne à être revu. Pendant plusieurs rounds, Tonna fait ce qu’on attend de lui. Il impose l’épreuve de force. Il va chercher Monzon sur son terrain. Jusqu’au cinquième round et ce gauche-droite de l’Argentin qui frôle les limites de la régularité. Tonna choisit de rester couché. Et perd sans gloire. Par contraste, il révèle les qualités d’un Monzon qui n’a pas volé sa place au panthéon des poids moyens : déplacements latéraux, équilibre, calme sous la tempête, uppercuts, variété du bras avant pour amener sa droite assassine. 

Que reste-t-il après tous ces combats ? Après les victoires et les défaites ? Même les souvenirs ont été soumis à rude épreuve par l’avalanche des coups. Didier Castino a offert un bouquin à Gratien Tonna. Il aurait sans doute préféré une ceinture mondiale ou une dernière tournée. Mais, à tout prendre, c’est toujours ça que Bouttier ou Monzon n’auront pas. 

Didier Castino, Boxer comme Gratien, éditions Les Avrils.

La dotation du Grand Prix Littéraire CultureBoxe : un repas toulousain bien arrosé aux frais et en compagnie du Président du jury de l’auguste institution.

Le PRIX CULTUREBOXE 2023 est attribué à DIDIER CASTINO pour BOXER COMME GRATIEN