De 1908 à 1926, Georges Carpentier a défié des hommes plus lourds et plus grands que lui, traversé plusieurs fois la Manche et l’Atlantique, participé à la Première Guerre mondiale et aimanté les femmes au bord du ring grâce à son élégance naturelle, ses yeux bleus rêveurs et sa fameuse raie sur le côté.
Les débuts d’un Ch’ti
Issu d’une famille ouvrière reconvertie dans le brassage de bière, Georges Carpentier naît à Liévin en 1894 et grandit à Lens.
A 10 ans, il descend la terreur de son école, un gamin 3 ou 4 ans plus âgé que lui, sous les yeux d’un passant pas comme les autres : François Descamps, président de la « Société de gymnastique de la Maison du Peuple ». Épaté par sa vitesse d’exécution, il l’invite immédiatement à venir passer ses nerfs à la salle.
Georges Carpentier vient de rencontrer son mentor, entraineur, promoteur et ami, qui l’accompagnera pendant toute sa carrière.
Ensemble, ils sillonnent les galas de la région où le punch de l’adolescent fait des ravages. En 1908, Carpentier fait ses débuts pro et, dans la foulée, s’installe à Paris avec Descamps. Il n’a que 16 ans et pèse 62 kg.
Carpentier combat régulièrement au Cirque de Paris mais c’est à l’étranger qu’il prend une autre dimension.
La conquête de l’Angleterre
Le 1er juin 1913, à Bruxelles, Carpentier défie le Bombardier Wells pour le titre européen des poids lourds dit « toutes catégories ». L’Anglais, ancien canonnier de l’Armée des Indes, 92 kg à la pesée soit 17 de plus que le Français, part largement favori.
Les deux premières reprises sont à l’avantage de Wells : après six minutes de combat, Carpentier a le visage en sang. Pourtant, à la 3e, il renverse la vapeur en touchant plusieurs fois le Bombardier à l’estomac. Maintenant qu’il a découvert le talon d’Achille de son rival, il ne va plus le lâcher. Au 4e, le Français place à nouveau un crochet du gauche à l’estomac suivi d’un uppercut du droit. Wells s’écroule : à la surprise générale, Carpentier a battu le champion.
Six mois plus tard, la revanche a lieu à Londres. Dès le 1er round, Carpentier martyrise à nouveau l’estomac du Bombardier et remporte une victoire expéditive. Les Anglais n’en reviennent pas. Le Français est désormais adulé des deux côtés de la Manche.
La Guerre
La guerre interrompt la carrière du Français mais renforce sa légende.
Dès 1914, il passe son brevet de pilote et participe aux combats comme aviateur, raflant une croix de guerre au passage.
Sa citation à l’ordre de l’Armée vaut le détour :
Sergent pilote d’une très grande habileté, s’impose à tous par la bravoure et l’entrain avec lesquels il exécute presque chaque jour les missions les plus périlleuses ;
s’est brillamment distingué à Verdun pendant l’attaque du 2 octobre 1916 en survolant les lignes à très basse altitude pendant près de quatre heures malgré des conditions atmosphériques très défavorables, faisant preuve d’un complet mépris du danger ;
déjà cité à l’ordre de l’Armée
Signé Joffre.
La conquête de l’Amérique
Au cours de l’année 1919, après cinq ans d’arrêt, le Grand Georges remonte sur le ring et signe plusieurs victoires par KO contre d’illustres inconnus. Les choses sérieuses reprennent dès l’année suivante : il traverse l’Atlantique et devient champion du monde des mi-lourds en battant l’expérimenté Levinsky – 28 ans et plus de 200 combats à son actif – par KO au 4e.
Avant d’embarquer sur le bateau du retour, il signe le contrat pour le « match du siècle » qui doit l’opposer la saison suivante à Jack Dempsey.
Jack Dempsey, neuvième enfant d’une famille de pauvres mormons était devenu champion du monde toutes catégories en ridiculisant Jess Willard, lui même bourreau de Jack Johnson.
D’abord videur de cabarets, Dempsey avait découvert les rings en servant de sparring partner dans les gymnases de Salt Lake City avant de révéler un potentiel de champion.
Le 2 juillet 1921, l’Américain, plus grand, plus lourd – 1m85, 85 kg – part favori face à Carpentier – 1m80, 79kg tout mouillé.
Cela dit, le Français, logé dans une petite cabane à 40 km de New York, s’est préparé comme jamais.
8h : réveil avec petit déjeuner au lit. 9h-10h30 : footing en forêt entrecoupé de sprints puis shadow boxing. A midi, pour le déjeuner, steaks légumes verts avec un verre de vin obtenu en sous-main, prohibition oblige. Après le déjeuner, une heure de sieste. De 15h à 17h : entrainement sur le ring avec shadow, corde, sparring et punching-ball. Le soir : dîner et promenade. 21h30 : extinction des feux.
En France, c’est l’espoir. Des avions se tiennent prêts à décoller pour aller faire éclater dans le ciel de Paris des fusées heureuses (rouges pour Carpentier) ou fatales (blanches pour Dempsey). La foule, massée sur les boulevards, attend impatiemment le verdict.
Après un 1er round prudent, Carpentier trouve l’ouverture au 2e. Esquivant une attaque de l’Américain, il contre de toutes ses forces d’une droite atomique à la face. Dempsey vacille mais s’accroche.
Les 80.000 spectateurs du stade de Jersey City, dont Alice Roosevelt, Henry Ford et Charlie Chaplin, sont épatés par le culot de Carpentier. Mais c’est son courage qui gagnera leur admiration : sur sa droite, le Français s’est brisé le pouce. Incapable de riposter, il est martelé de coups par son adversaire. Au 4e, un crochet de Dempsey met fin au calvaire. Les deux hommes sont acclamés par la foule.
La presse locale est élogieuse. Le New York Times :
Carpentier fut, à bon droit, le plus populaire des deux boxeurs. Comme bagarreur, il a été battu ; comme boxeur, il reste supérieur. Il a surclassé Dempsey dans la boxe à distance. Dempsey gagna par l’efficacité de ses corps à corps. Carpentier sembla avoir Dempsey à sa merci au 2e round. Carpentier fut l’âme de ce combat ; Dempsey en était le corps. Carpentier a perdu en gentleman.
La chute
De retour en France, Carpentier est accueilli en héros. Après un repos bien mérité, il remonte sur le ring pour enchaîner plusieurs victoires à Londres. Mais Carpentier jouit de sa nouvelle renommée en menant grand train et s’entraine de moins en moins.
Le 24 septembre 1922, il affronte le Sénégalais Battling Siki, ancien boxeur de foire, à Montrouge. Le scénario est écrit à l’avance : Siki doit se coucher au 5e, garantissant une victoire facile à un Carpentier hors de forme.
Au 3e, Siki va deux fois à terre et est menacé de disqualification pour manque de combativité. Une fois relevé, coup de théâtre, il charge violemment son adversaire. Au 4e, Carpentier, touché, va une première fois au tapis. Au 6e, Carpentier butte contre la jambe de Siki et s’écroule. Voyant que Carpentier, épuisé, ne se relève pas, son manager jette l’éponge alors que l’arbitre disqualifie le boxeur sénégalais.
Les juges se concertent et, dans un vacarme assourdissant, annoncent la décision définitive : Battling Siki vainqueur par KO.
L’année suivante, Carpentier se relance en battant coup sur coup Marcel Nilles à Paris et Joe Beckett à Londres. Dans la foulée, il repart aux États-Unis mais il est battu, le 24 juillet 1924, par Gene Tunney, en 15 rounds.
Après une année off en 1925, il s’offre un dernier voyage outre-Atlantique en 1926. Ce sera la tournée d’adieu d’un boxeur en perte de vitesse.
Du ring aux planches
Jeune retraité des rings, Carpentier trouve vite une reconversion à sa mesure : les planches. Dès 1927, il est à l’affiche du Palace, s’essaye aux claquettes et pousse la chansonnette. L’ancien boxeur repart en tournée, se produisant dans toute l’Europe avant d’atterrir à Hollywood où il côtoie Greta Garbo et d’autres reines de beauté.
L’aventure américaine finit pourtant en queue de poisson : Carpentier est ruiné par le crash de Wall Street. De retour à Paris, il fait jouer ses relations et investit ses derniers dollars pour ouvrir Chez Georges Carpentier, bar à cocktails.
De 1935 à 1970, Carpentier qui n’a jamais bu une goutte d’alcool gère à merveille son petit commerce avant de jouir d’une retraite bien méritée.
Carpentier s’éteint le 28 octobre 1975.
Source : Olivier Merlin, Georges Carpentier Gentleman du ring.
NZ