Tout plutôt qu’un vrai boulot — Tex Cobb (42-7-1)

Culture Boxe

A l’aube du XXe siècle, les marchands anglais jetant l’ancre dans l’immense port de Buenos Aires transportaient dans leurs cales une précieuse cargaison : l’amour de la boxe qu’ils livrèrent au pays. Un siècle plus tard, avec des noms comme Firpo ou Monzon gravés dans nos mémoires, la boxe demeure une part importante de la vie sportive argentine. (…)

Tout a commencé avec Firpo, « Le Taureau Sauvage de la Pampa. » Firpo (31-4, 26 KO) était énorme pour l’époque – 1m89 pour environ 100 kilos – et très puissant. Il défit 8 de ses 9 adversaires aux USA, ce qui lui permit de rencontrer Dempsey. Ce dernier, alors champion du monde et célèbre dans le monde entier, allait faire l’expérience douloureuse de cette puissance lors du combat légendaire au Polo Grounds à New-York, il y a 87 ans.

Firpo s’attendait à être mal reçu :

« Quand je traverserai la foule en allant du vestiaire jusqu’au ring », annonça-t-il lors d’une interview, «les hommes se lèveront de leurs chaises et me crieront d’horribles choses. Ils brandiront leurs poings au-dessus de leurs têtes, me lanceront des insultes tout en m’expliquant les terribles choses que Dempsey me fera subir. »

Ce que fit finalement Dempsey, après d’inoubliables rebondissements.

A l’époque du combat, très peu de gens possèdent une radio à Buenos Aires. Les journalistes qui suivent la retransmission concoctent alors un plan original pour annoncer le vainqueur : si Firpo l’emporte, une lumière verte sera projetée à travers la fenêtre d’une tour, une lumière rouge pour Dempsey.

Impatiente, la première lumière qu’aperçoit l’Argentine est verte, en raison d’un des moments les plus célèbres de la boxe. Firpo a déjà été envoyé 7 fois au tapis dans le premier round quand il se rue sur le champion et, d’une droite assommante, l’envoie au travers des cordes, directement sur la machine à écrire d’un journaliste sportif.

A Buenos Aires, pensant que le combat est terminé, les journalistes allument la lumière verte : la fête commence dans les rues du pays. Même Dempsey n’est pas bien sûr de ce qui vient de se passer :

« Je ne savais pas qu’il m’avait envoyé en-dehors du ring jusqu’à ce que je rejoigne mon tabouret à la fin du round. Je pensais avoir été mis KO. »

Cette lumière verte est, bien sûr, prématurée. Dempsey parvient à remonter sur le ring à temps et achève Firpo dès le round suivant, obligeant les journalistes à corriger leur tir et allumer la lumière rouge.

Les gens étaient anéantis, raconte Carlos Irusta, journaliste sportif pour la presse et la télévision qui couvre le sport en Argentine depuis 1963. Ils étaient aussi en colère. Jusqu’à ce jour, beaucoup d’Argentins pensent que Dempsey n’étaient pas sur pieds avant la fin des 10 secondes et aurait donc dû perdre. Irusta cite même une théorie selon laquelle le film du combat serait coupé au moment où il tombe en-dehors du ring.

« Pour cette raison, il y a encore des gens en Argentine qui n’aiment pas les Américains. Ils pensent que ce combat a été volé, » explique Irusta.

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Firpo n’a jamais gagné le championnat du monde mais reste une légende en Argentine et à travers l’Amérique Latine. Des rues, des écoles et même une équipe de foot professionnelle du Salvador – Club Deportivo Luis Angel Firpo – lui font honneur en portant son nom. « Il fut la première grande star du sport argentin. Au moment où Firpo boxait, le foot n’était pas encore notre sport national », rappelle Irusta.

Après Firpo, de nombreux boxeurs célèbres suivirent. Justo Suarez (24-3-1, 14 KOs), un magnifique poids léger de Cordoba, idole et prétendant au titre de champion du monde dans les années 30 mourut soudainement de la tuberculose à 29 ans.

De son côté, Jose Maria Gatica (86-7-2, 72 KOs) fut une figure incontournable de l’Argentine des années 40’/50’ – ami du président Juan Peron et de sa femme Evita – en raison de ses victoires au style exalté. Mais ses espoirs de remporter le titre mondial furent brisés lorsqu’Ike Williams le mit KO en un seul round.

Gatica, dont les fans remplissaient des stades de 40 000 places, a fini par tomber en disgrâce avec la chute du pouvoir péroniste. Il se vit retirer sa licence avant d’être percuté mortellement par un bus alors qu’il n’avait que 38 ans.

Pascal Perez (84-7-1,57 KOs), pile électrique d’un mètre cinquante, devint le premier champion du monde argentin en 1954 et conserva son titre pendant plus de 5 ans. Il était populaire mais sans plus, précise Irusta, parce qu’il combattait surtout à l’étranger.

Le tenant du titre des poids super-légers Nicolino Locche (117-4-14, 14 KOs) était lui extrêmement populaire – et un des meilleurs boxeurs défensif de tout les temps – dans les années 60’-70’. Tellement énorme qu’il amenait régulièrement une foule de 20 000 fans au célèbre Estadio Luna Park à Buenos Aires, ce que Monzon n’a jamais fait. (voir notre article sur Niccolino Loche) (…)

Puis vint Monzon, un beau et séduisant jeune homme qui fut aussi un des plus grands boxeurs de l’histoire. Monzon (87-3-9, 59 KOs) a perdu trois fois lors de ses 20 premiers combats puis plus jamais par la suite, enchaînant un extraordinaire 71-0-9 face aux meilleurs boxeurs de son époque pendant le reste de sa carrière. Cependant, ils étaient peu nombreux – même en Argentine – à croire qu’il pourrait battre le grand boxeur italien Nino Benvenuti en 1970 à Rome.

Monzon réussit un KO au 12e round devant un public international lors du Combat de l’Année selon THE RING magazine, remportant le titre mondial et reconnu alors comme le meilleur boxeur de la planète. Il conserva son titre pendant 7 ans, un des plus beaux parcours de l’histoire de ce sport.

« Le combat se déroule un samedi soir à Rome, dimanche après-midi à Buenos-Aires, » raconte Irusta. « Tout le monde (en Argentine) est devant sa télé, tout le pays. Personne ne pense qu’il peut battre Benvenuti. Lorsqu’il y parvient, remportant une incroyable victoire par KO, les gens deviennent dingues. C’est le cas surtout à Santa Fe, la ville de Monzon, où tout le monde descend dans la rue. »

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Malheureusement, Monzon aussi chuta de son piédestal de la plus horrible des manières. Il fut accusé d’avoir assassiné sa conjointe, la poussant dans le vide depuis son balcon en 1988. Prisonnier, il mourut dans un accident de voiture alors qu’il rendait visite à sa famille lors d’une permission.

« Certaines personnes n’aiment pas Monzon pour cette raison. Il n’y a qu’à Santa Fe qu’il sera toujours un énorme champion. A Buenos Aires il l’est aussi d’une certaine manière, mais il est aussi un assassin, » rajoute Irusta.

L’Argentine a produit d’autres champions après Monzon. Victor Galindez a remporté deux fois le titre des lourds légers. Julio César Vazquez fut à deux reprises tenant du titre des poids super moyens. Juan Coggi a gagné la ceinture des super welter trois fois. Et, plus récemment, Carlos Baldomir s’est fait un nom en battant Zab Judah pour devenir champion des poids welter et en défendant avec succès ce titre face à Arturo Gatti.

La série continue aujourd’hui. Omar Navaez est le tenant du titre invaincu des poids mouches et Marcos Maidana, qui selon Irusta devient très populaire en Argentine grâce à son style de bagarreur, doit rencontrer Timothy Bradley.

Puis il y a Sergio « La Merveille » Martinez (vainqueur hier de Pavlik et donc nouveau champion du monde des poids moyens, NDLR). Ce séduisant puncheur, (…), a déménagé en Espagne il y a cinq ans environ. Pour cette raison, explique Irusta, il n’est pas aussi connu en Argentine que ceux qui vivent là-bas. (…)

L’Argentine continue de produire d’excellents boxeurs.

Michael Rosenthal, traduction Cultureboxe (merci à l’auteur pour son aimable autorisation).

Pour l’article complet en anglais sur le site du RING MAGAZINE, cliquez ici.

felixcultureboxe@gmail.com

La tradition fertile de la boxe argentine