Un entretien réalisé par Helmut Sorge et tiré du livre Greatest of all time, éditions Taschen, 2003.
Foreman parle d’Ali et de « Rumble in the Jungle » – 1/3
Au premier round, pas de KO. Au deuxième, rien. Ali est toujours debout à la fin du troisième round. C’était frustrant ?
Je n’arrêtais pas de le cogner, je veux dire de le cogner vraiment. Dans le troisième, il était prêt à se coucher, il n’y avait pas d’issue. En tout cas, c’est ce que je me disais. Quand la cloche a sonné, il m’a lancé un de ces regards comme s’il voulait dire : « Je suis toujours là chéri, t’as pas autre chose ? » C’est là que je me suis rendu compte que ça ne se passait pas comme je l’avais escompté. Je l’avais frappé fort – vraiment fort, et il a dû avoir mal. Mais il avait encaissé les coups, il avait laissé passé la tempête. Il était de plus en plus confiant. Je pouvais le lire dans ses yeux.
Dans son livre « More Than a Champion : The Style of Mohamed Ali« , Jan Philipp Reemtsma écrit que « chaque coup qui manquait de mettre Ali KO était pour vous un pas de plus vers la défaite ».
D’une certaine manière, c’est correct. Je n’ai pas lancé un seul coup destiné uniquement à préparer le prochain. Mais chaque fois que je le touchais sans parvenir à en finir, j’avais l’impression de m’épuiser en vain, comme si je venais de courir 10 kilomètres pour rien. Tout ça pour rien. J’ai commencé à me sentir fatigué, épuisé, mais je ne pouvais relâcher la pression ni reculer, car Ali se serait tout de suite rendu compte que je manquais de souffle. Donc j’ai à nouveau tout tenté au huitième round. J’ai balancé un coup dévastateur qui a manqué sa cible et j’ai perdu l’équilibre. J’ai basculé, le menton en avant, et j’ai atterri en plein sur son poing. Boum. Fini. J’étais par terre.
L’obscurité ? Les étoiles ?
Non, les lumières étaient toujours allumées et je savais ce qui se passait autour de moi. Et je savais qu’il fallait que je m’accroche. Nous avions évoqué cette situation avant le combat et mon entraîneur m’avait dit de regarder en direction de mon coin, si je me faisais envoyer au tapis. « Reste couché, laisse-moi compter« , disait-il. J’allais me relever mais il me disait d’attendre. Quand le signal est venu, il était trop tard. Le combat était fini. Je voulais qu’il continue, je savais qu’Ali allait se jeter sur moi pour essayer de m’achever. Il aurait baissé sa garde et j’aurais eu une opportunité de le contrer.
Avant le combat, on disait que vous aviez un punch à crever un sac d’une centaine de kilos. Où était ce punch, ce soir-là en Afrique ?
L’homme en face avait un menton en fer et un coeur en acier.
Avez-vous sous-estimé Mohamed Ali ?
Complètement. J’avais visionné des vidéos de quelques uns de ses combats, notamment celui contre Ken Norton qui l’avait battu en lui fracturant la mâchoire. Soyons francs, j’avais facilement gagné contre Norton. Et j’avais vu Joe Frazier balancer Ali d’un coin à l’autre du Garden. Lui aussi, je l’avais dépecé. Certains partenaires d’entraînement d’Ali, qui avaient travaillé avec lui pendant plusieurs années, avaient tellement peur de mon punch qu’en l’esquivant, ils sortaient du ring. Donc oui, j’étais dangereusement et excessivement confiant. Puis, après qu’il m’eût envoyé au tapis ce soir-là en Afrique, j’ai visionné d’autres vidéos d’Ali et réalisé qu’il savait aussi bien encaisser que distribuer les coups. Personne n’avait pris la peine de m’en informer. « Il n’est plus ce qu’il était« , voilà ce qu’ils disaient. « Il est trop vieux, tu vas le balayer en deux rounds« . Ouais, c’est ça. Ce soir-là j’ai affronté l’homme le plus motivé du monde.