Tout plutôt qu’un vrai boulot — Tex Cobb (42-7-1)

Culture Boxe

Fat City, un film de John Huston

Par    le 8 avril 2010

Win Some, lose some

Un homme sans âge s’éveille dans une chambre d’hôtel crasse. Il sort, esquisse un pas de danse sur le boulevard. Il remonte dans sa chambre chercher son sac de sport : c’est décidé, il reprend l’entraînement.

Ainsi débute Fat City, réalisé en 1972 par John Huston, âgé de 66 ans à l’époque. Le cinéaste à la filmographie longue comme les états de service d’un boxeur d’avant-guerre (The asphalt jungle, Moby Dick, The man who would be king, au hasard) annonce, en racontant une histoire de boxe, la couleur du réalisme sublimé propre à la génération hollywoodienne alors en éclosion : Coppola, Cimino, Malick, Schatzberg.

Le décor est un trompe-l’œil : une Amérique ensoleillée (le film se déroule à Stockton, Californie),  d’avenues droites, de zincs de bar interminables, de pastel palissades et de néons, évoquant les peintures d’Edward Hopper. Derrière, les « nobodies » travaillent comme journaliers dans les champs, et passent leur soir au bar ou au gala de boxe.

Billy Trully (Stacy Keach), ancien « contender » qui a laissé filé sa chance croise l’adolescent Earnie Munger (Jeff Bridges, pas mal d’années avant de devenir le « dude » Lebowski) dans une salle de sport. Impressionné, il lui conseille d’aller voir son ancien manager, tandis qu’il caresse lui même l’idée d’un come-back.

Si Hollywood a ensuite fait des progrès dans l’interprétation visuelle d’un combat, l’entre-monde de la boxe décrit dans le film ne manque pas de touchant ni de clins d’œil aux initiés. L’équipe du film est truffée de boxeurs, à commencer par Huston qui a tâté du noble art en amateur dans sa jeunesse, tout comme le scénariste Leonard Gardner qui adapte son roman. A l’écran, on reconnaît dans le rôle de l’entraîneur et adjoint du manager, Art Aragon, un ancien boxeur fantasque de Los Angeles, célèbre pour ses liaisons avec les starlettes et sa robe et son short dorés, lui valant, bien avant De la Hoya, le surnom de Golden Boy. Curtis Cokes, ancien champion du monde welter, n’y joue pas un boxeur, mais a une présence innée dans le rôle du petit ami d’une ivrogne qu’il partage avec Trully.

La sémantique de la boxe, ses coups fourrés et son immense lot de déceptions nourrissent le film qui égrène sa comptine douce-amère sur l’air de « la boxe est une école de la vie », à moins que cela ne soit l’inverse.

Le film a peut-être vieilli. Le naturalisme mêlé à l’emphase poussive de quelques numéros d’acteurs sonne parfois un peu faux. Mais, aidé par une remarquable photographie de Conrad Hall, Fat City propose une jolie étude sur les méandres de la vie, où les gagnants, paraît-il, n’emportent rien au paradis, et les laissés-pour-compte ont – au choix – la solitude digne, l’humour, un dernier rêve, ou un petit verre, pour réponse au temps qui passe.

Ainsi, Trully gagne son comeback contre un ancien champion mexicain menaçant (Ruben Navarro, un vrai boxeur bien sûr), mais il est si usé qu’il demande à son entraineur s’il a été mis KO. Munger, beau, enthousiaste et un peu simplet,  croit en sa bonne étoile sans se soucier du résultat (« win some, lose some », dit-il), pourvu qu’il puisse porter une belle robe sur le ring.

Le film est un récit d’apprentissage, de transmission entre générations, où il n’est d’autre leçon que de continuer de vivre. « Je suis heureuse de ne plus être vierge », dit Faye, la fiancée de Munger. « Non pas que je me sente différente. Je croyais voir le monde à travers des yeux neufs. Mais non…».

jeremiekorenfeld@gmail.com

Fat City, un film de John Huston