Tout plutôt qu’un vrai boulot — Tex Cobb (42-7-1)

Culture Boxe

Dans le coin gauche, la belle, Desiree Washington, 18 ans, vient d’un bled paumé du fin fond de Rhode Island. Dans le coin droit, la bête, Mike Tyson, boit, fume et déconne à plein tubes. Un renard lâché dans un poulailler, celui de l’élection de Miss Black America. Spoiler : ça finit mal.

Après Le livre des Mille et une reprises, j’avais cru comprendre que vous raccrochiez les gants. Qu’est-ce qui a motivé ce come-back ?

Il faut croire que je suis aussi fiable que Tyson Fury, que quand je dis : “J’arrête”, ça veut dire : “Je reviens dans cinq minutes”. Plus sérieusement, cette affaire m’intéresse depuis le début des années 90, si l’on est attentif, j’ai laissé des traces un peu partout : dans Télé Obs en 94,dans un recueil de textes paru en 1996 chez L’Harmattan, dans ma bio de Tyson et dans Mille et une reprises bien sûr où il y a une entrée Washington (Desiree) et où il y est fait allusion à trois ou quatre occasions. A chaque fois, le sujet est le même : le viol, les formes à chaque fois différentes, mais il y manquait celle de mon projet initial : un livre. Aujourd’hui, c’est fait et bien fait, comme je suis snob, je suis très content que Desiree soit publié chez Allia, j’ai de l’estime pour leur travail, j’y suis chez moi plus qu’ailleurs, leur catalogue est bourré jusqu’à la gueule d’auteurs dont je me sens proche : Louis Scutenaire, Legs McNeil, Grégoire Bouillier, Hans Magnus Enzensberger, les Johannin, Nick Tosches, Gil Wolman… pourvu que ça dure !

Je trouve que votre livre est important car il nous amène à nous interroger sur qui est Tyson. Vous m’avez dit que c’est une âme perdue. Vous écrivez que c’est un excellent comédien. Teddy Atlas a dit qu’il était « vide »… Qui est Mike Tyson ?

Vaste question. La facilité consisterait à répondre qu’il est tout cela… tout et son contraire. Peut-être que l’hypothèse de Teddy Atlas, bien placé pour connaître le phénomène, est la plus juste… c’est nous et nos fantasmes qui faisons de lui ce qu’il est.

Est-ce qu’il y a une sorte de responsabilité collective devant ce monstre qu’on aurait, en tant que société, contribuer à créer ?

Evidemment. Né pour être tué, il est toujours vivant… c’est déjà une espèce de miracle ! Encore mieux, il est une star comme aux premiers jours et les stars, c’est le public qui les fabrique. La meilleure preuve de son statut ? Sa présence éclipse les autres, Desiree parle de Desiree Washington, du viol, de la justice américaine, des rapports inter-raciaux, d’un bled du Rhode Island, de l’Indiana, et on ne parle que de lui. Tyson est une image qui se démultiplie à l’infini comme dans un jeu de miroirs, une image qui prend en charge nos fantasmes les moins avouables, le genre pour lesquels on peut se lever à trois heures du matin pour le voir boxer une chèvre. Vous avez raison, la société a besoin de ça, le commerce et l’industrie aussi… le spectacle, n’en parlons pas ! souvenons-nous du Canal + de ces années-là.

Dans votre biographie de Tyson, vous décortiquez le narratif autour de Cus et le kid. Dans quelle mesure, a-t-il une responsabilité dans le fait que Tyson, après sa disparition, ait eu tant de mal à « voler de ses propres ailes » ?

“Cus et le Kid”, c’est du story-telling chimiquement pur… le délinquant nourri aux oreilles de cochon venu du ghetto, le fou furieux dans son manoir hanté et ses théories à la con : “La peur est ta meilleure amie”, Jim Jacobs, le psychotique en charge des media et Bill Cayton aux finances, toutes les planètes sont alignées : Trump, la coke, le bling-bling, le rap, la hype, le pay per view. Tout le monde adore les contes de fées… Cendrillon… Blanche-Neige, cette fois c’est le gladiateur en noir des pieds à la tête qui foudroie ses adversaires à peine sont-ils sortis des vestiaires, ça dure le temps d’un clip de Public Enemy, pas davantage. Pour couronner le tout, le produit est bon, excellent même, Tyson est un athlète exceptionnel à l’heure où les poids lourds ne sont pas exceptionnels. Ne chargeons pas la barque à l’excès pour autant, les victoires de Tyson, Tyson y est pour quelque chose, son punch et ses qualités défensives et l’on connaît des contes de fées qui se sont mal terminés… récemment… jusque sous nos latitudes et toujours avec Canal + aux manettes. Il ne faut pas davantage accabler Tyson pour ses errements, voler de ses propres ailes après avoir traversé une enfance désastreuse, une adolescence bizarroïde, c’est pas facile et quand la fortune, la toute-puissance, l’indécence vous dégringolent sur le beignet alors que vous êtes tout juste adulte, c’est pas facile non plus. Si vous ne vous aimez pas outre-mesure en prime, que vous êtes orphelin et mal entouré, ça devient mission impossible.

L’affaire Desiree Washington souligne le rapport curieux qu’entretient la communauté noire avec Tyson, au point peut-être d’oublier que Desiree est noire, elle aussi. Comment l’expliquez-vous ?

La communauté noire n’oublie pas que Desiree est noire, mais elle est imprégnée des mêmes préjugés que la communauté WASP : la femme est “mineure”, quant à la violer… elle l’a bien cherché ! C’est en train de changer, tant mieux, il s’en allait temps, mais la “transition” vers l’inconscient a du retard à l’allumage. “Elle était pas quand même un peu à poil la fillette ?” – “Non !” – “Un peu con, alors ?” – “C’est un crime ?” – “Non, mais…” – “Mais quoi ?” – “Rien.”

Tyson et Desiree, Ali et Sonji dans votre Alias Ali… J’ai l’impression que ce procédé (parler de Tyson ou Ali à travers les femmes qui ont croisé leur route) vous permet de mieux les cadrer. Qu’en dites-vous ?

Peut-être… sans doute… je ne sais pas. C’est peut-être, aussi, simplement, que j’aime les filles et que je n’aime pas qu’on leur fasse du mal.

À l’époque, une bonne partie de la presse française avait repris la version des avocats de Tyson après sa condamnation : racisme, procès injuste… Votre Tyson vous avait valu quelques bricoles, n’est-ce pas ? Est-ce que vous avez l’impression de boucler la boucle avec Desiree ?

Pas “une bonne partie”, TOUTE la presse et pas que la presse, de l’Université à l’opinion publique, carton plein : “Pauvre Mike ! ” – “Desiree, salope !” Le top du top restant Le viol de Mike Tyson de Patrick Besson, édité trois fois par trois maisons d’édition différentes et dont la thèse centrale vaut son pesant de slips sales : Mike Tyson avait le droit de violer Desiree Washington parce que c’est un génie et les filles faites pour être violées, particulièrement les Noires qui se mettent naturellement à quatre pattes, mais sucent mal. Et tout le monde gobe… quel talent ! quelle désinvolture ! quel écrivain ce Patrick ! Et moi, pendant ce temps, con comme la lune, je me balade avec mes infos… “Mouais ! mouais ! Intéressant ! Vous êtes sûr ?”Ma bio de Tyson, qui aurait dû s’appeler Un cauchemar américain, c’est du pareil au même… qu’est-ce que c’est ce truc ? silence complet. J’attends que l’on me propose un pont d’or pour sa réédition. Aujourd’hui, ça devrait marcher, tout le monde est féministe… sauf moi, bien sûr.

Desiree, Frédéric Roux, éditions allia

FAITES ENTRER L’ACCUSÉ : Frédéric Roux refait le portrait de Tyson et de l’Amérique des années fric