Un guerrier ultime, à mi-chemin entre Mohamed Ali et Garry Gasparov ? C’est le rêve qu’a fait Enki Bilal dans Froid Equateur, paru en 1992. Le vendredi 1er février, ce rêve est devenu réalité dans la salle de vente aux enchères Artcurial avec le premier combat officiel organisé par la World Chess Boxing Organization. On y était.
Le Chessboxing : six parties d’échecs de quatre minutes entrecroisées de cinq rounds de boxe de trois minutes. Un sport étonnant pratiqué à Berlin, Londres, Krasnoïarsk, Los Angeles, Calcutta ou Shanghai.
Au bord du ring, les photographes jouent des coudes pour avoir le meilleur point de vue. Plus loin, les mondains se saluent, sourire aux lèvres. D’autres contemplent, songeurs, l’acrylique de Bilal « Chess-boxers with black horse » qui sera vendu aux enchères au profit de la WCBO.
Charlotte Rampling siffle la fin des mondanités et annonce les deux combattants du soir. L’ancien champion du monde allemand, Frank « Anti-Terror » Stoldt, va se frotter au tenant du titre biélorusse, naturalisé allemand, Leonid « Granit » Chernobaev. Un combat de lourds-légers arbitré par le Grand Maître et commentateur d’échecs Jean-Luc Chabanon, chargé d’expliquer le déroulement des parties au public en décryptant les choix stratégiques des deux chess-boxeurs.
Premier round. Autour de la table, les coups pleuvent. Casque sur les oreilles, Leonid (short, bandes et pions noirs) cherche des angles de frappe originaux en attaquant le fou adverse. Frank (short, bandes et pions blancs), l’un des tout premiers champions de la discipline, monte la garde, protège son roi et laisse passer l’orage. À l’expérience.
Deuxième round. Gants aux poings, les deux hommes la jouent stratèges. Chacun avance ses pions en lâchant quelques directs du bras avant. Pas question de se découvrir. La peur du contre sans doute.
Troisième round. La table trône à nouveau au centre du ring. Les cavaliers de Leonid multiplient les pas de côté. « Il met la pression aux échecs comme à la boxe » constate Jean-Luc Chabanon avant de qualifier cette stratégie « d’assez technique, peu spectaculaire ».
Quatrième round. Leonid remet la marche avant. Son jeu de jambes semble pouvoir faire la différence. Hélas, les coups ne sont pas portés. Pas d’ouverture à l’horizon.
Cinquième round. Les blancs sont dans les cordes.
Sixième round. En mode fianchetto Leonid martèle les flancs de son adversaire. Timide, Frank cherche le pat avec son jab.
Septième round. C’est maintenant ou jamais. La défense des noirs est béton. Après avoir cherché en vain le K-O avec sa Dame, Frank jette l’éponge. L’arbitre lève le bras de Leonid, entouré d’Enki Bilal et de Charlotte Rampling. « Granit » n’a pas volé sa victoire. Impressionnant de concentration, son tempérament offensif et sa détermination se sont autant exprimés autour de la table que sur le ring.
Note d’après-match. Délire d’artiste transformé en machine à buzz ou sport ultime ? Difficile à dire. Le concept est séduisant puisqu’il demande une somme de capacités rarement égalée dans une discipline. Le classement ELO des deux chess-boxeurs – supérieur à 2000 – est celui d’un très bon joueur national. Les deux hommes ont également payé leur dû entre les cordes avec une cinquantaine de combats amateurs pour le vainqueur.
À l’instar d’une bonne partie du public on reste tout de même dubitatifs. La WCBO avait annoncé un combat officiel avec ce slogan choc : « Un match s’emporte par échec et mat ou K-O ». Une promesse inspirée de l’imaginaire d’Enki Bilal chez qui le combat de Chessboxing se termine irrémédiablement dans le sang. À la place, on a l’impression d’avoir assisté à un timide sparring. Problème d’autorisation ? Subtilité dans l’annonce de l’événement ?
Plus agaçant, la répartition des rôles entre la boxe et les échecs. « C’est l’alliance entre la force de la boxe et la stratégie des échecs » entendait-on dans le public. Un discours qui s’adresse au joueur d’échecs et l’invite à endosser le costume de la brute pour une soirée. La dimension stratégique, la bataille mentale est pourtant commune à la boxe et aux échecs. L’aspect caricatural du noble art, présenté comme simple expression de la violence physique, obéit sans doute à des fins promotionnelles mais elle ignore la richesse d’un sport qui – à lui tout seul – est déjà plus qu’un sport.
FJ avec NZ
Crédits photos : FJ – Actisphère.