La boxe a cette particularité de brouiller la frontière entre le triomphe et la tragédie. Peut-être parce qu’au-delà de réunir des athlètes, elle secoue des hommes. Combien d’histoires de boxeurs rois sur le ring et bouffons en-dehors ? En voici une autre, celle de Randolph Adolphus Turpin. Celle-ci n’a rien d’un conte.
Né le 7 juin 1929 d’un père guyanais et d’une mère anglaise, Randy Turpin grandit dans une Angleterre couverte d’un épais brouillard blanc. On disait d’ailleurs que les Turpin étaient la première famille métisse de tout le Warwickshire. Malgré un père vétéran de la Première Guerre Mondiale, Randy et ses deux frères n’échappent pas aux moqueries et aux violences. La baston devient rapidement leur principale forme d’expression auprès des autres jeunes du quartier. Cette culture du punch porte ses fruits. En 1937, Dick, son grand frère, devient boxeur professionnel : la fierté du Leamington Boys Club. Même si Randy est trop léger pour devenir son sparring partner, il est galvanisé par la réussite de l’ainé.
En amateur, Turpin montre des aptitudes remarquables. Tout comme son palmarès de 95 victoires pour 5 défaites. À la fin de la deuxième Guerre, il gagne trois titres nationaux chez les juniors. Puis passe professionnel quelques jours seulement après son 18ème anniversaire.
Doté d’un physique hors du commun (il passe des heures à soulever de la fonte), il développe un style révolutionnaire pour l’époque, fondé sur une pression constante sur l’adversaire et une défense active. Invaincu lors de ses 19 premiers combats, il subit 2 défaites surprises des poings du Français Albert Finch, à la palette pugilistique pourtant plus limitée. Randy regagne la confiance du public britannique en enchaînant 21 victoires d’affilée.
C’est à la date du 10 juillet 1951 que Turpin, champion d’Europe, rentre dans l’Histoire. À Earls Court, il bat la légende vivante Sugar Ray Robinson. 18 000 fanatiques scandent le « He’s a jolly good fellow » en honneur de leur jeune guerrier de 23 ans. La fête est de courte durée. Célébré dans tout le pays, Turpin remet cartes sur table 64 jours après (!), à New York, devant près de 61 000 spectateurs. Il affronte un Sugar Ray piqué dans son orgueil et au sommet de son art. Bien que courageux, il tombe par deux fois, le deuxième knock-down étant de trop.
Randy Turpin est blessé mais les stigmates sont invisibles. Commence une longue descente vers les abysses. En 1958, à 30 ans, après plusieurs défaites aussi anonymes que logiques, il déclare faillite. Rattrapé par le fisc, on lui reprend sa seule possession : un café-relais miteux perdu sur la côte nord du Pays-de-Galles. 3 jours après avoir reçu une demande finale de règlement des dettes, il entraîne sa petite fille Carmen, âgée de 4 ans, dans sa chambre. C’est le 17 mai 1966. Il tire sur la fillette avant de retourner l’arme contre lui. Miraculeusement, la petite survit.
Premier champion britannique de couleur, Randy Turpin laisse derrière lui un héritage complexe. Celui d’un des boxeurs les plus talentueux de l’histoire de la Grande-Bretagne et celui d’un fait divers qui n’en n’est pas un. C’est en battant une nuit d’été le meilleur athlète ayant jamais mis les pieds dans le ring que Randy initie sa marche vers l’obscurité.
Randy Turpin, une histoire de lumière et de brouillard.
Randy Turpin
Né le 7 juin 1928
Mort le 17 mai 1966
Palmarès professionnel 66-8-1