Né à Caroll dans l’Ohio le 15 avril 1875, James Jackson Jeffries dit « Jim » était un beau bébé de 1,90m et de 100kg. Des chiffres assez impressionnants pour l’époque. Pourtant la boxe ne l’intéressait pas, bien que son grand-père, Christophe Boyer, ait un temps combattu à mains nues en Pennsylvanie. Ses parents, un Ecossais très croyant et une douce Hollandaise, souhaitaient en faire un homme du Seigneur. Jim se tourna naturellement vers un métier manuel : la chaudronnerie, dès l’âge de 14 ans. Un métier dur et éprouvant. Un métier qui vous forge les muscles et le caractère.
Puis, c’est la rencontre avec la boxe. Jeffries a la vingtaine. Il est dans la force de l’âge. De son côté, Hank Griffin, meilleur poids lourd de Californie, a fait le vide autour de lui. A court d’argent et d’adversaires, il lance un défi à tout homme désireux de boxer avec lui. Jeffries accepte, poussé par les encouragements de ses amis. C’est la première fois qu’il monte sur un ring et devant un homme dangereux, par-dessus le marché. Griffin domine, mais, à la surprise générale, le débutant tient le choc. Les attaques du champion font mouche mais Jeffries ne plie pas. Et au 14e round, l’impensable se produit : une droite de Jim abat Griffin pour le compte.
En un coup du sort, Jeffries est devenu boxeur. A la violence du ring, il préfère pourtant les promenades en montagne. La nature, c’est son refuge. Mais difficile de refuser les 1 000 dollars qu’il touche pour étendre Dan Long à San Francisco. Pourtant cet idylle naissant manque de tourner court. Jim couve une pneumonie. Un docteur le déclare perdu pour la boxe. Alors le malade se soigne à sa façon, à coups de longues marches en forêt, buvant, dormant, chassant comme un vrai trappeur. En quelques mois, c’en est fait de la vilaine pneumonie.
Jim redevient boxeur. C’est le début d’un véritable parcours du combattant qui le voit affronter les hommes les plus durs de l’époque. Gus Ruhlin en 1897, un rugueux d’origine allemand pour un match nul disputé. Puis l’expérimenté Joe Choynski, plus de 40 combats à son actif quand Jim n’en est qu’à son 7ème. Pour un match nul, là encore, mais sanglant cette fois. Sur un direct à la mâchoire, les dents de Jeffries traversent sa lèvre supérieure. Il boucle malgré tout les 20 rounds pour gagner ses galons de dur au mal.
Bientôt, Jeffries défie le grand Peter Jackson. Un Noir. Un grand champion qui a bien ramé pour obtenir le droit de boxer les meilleurs Blancs. Une force de la nature qui a obtenu le nul contre le grand J.J. Corbett et poursuivi en vain le pionner John L. Sullivan. Mais, à ce stade, c’est avant tout un homme usé par l’alcool et malade de tuberculose. Une victoire facile pour Jeffries, en trois petits rounds. L’occasion aussi de faire preuve d’un peu d’humanité en demandant à l’arbitre d’arrêter le boxeur fini et saoulé de coups.
Après avoir battu le dangereux Tom Sharkey, Jeffries obtient le droit d’affronter Bob Fitzsimmons. Bob a 37 ans. Sa science du combat n’est plus à démontrer. Il a battu les meilleurs, dont J.J. Corbett. Bob est une valeur sûre. En face, Jeffries a 24 ans et la force de la jeunesse. Mais c’est un novice comparé à Bob. Le début du combat conforte cette impression. Jeffries encaisse. Jusqu’à ce que quelques uns de ses coups percent la garde de Bob. C’est la puissance qui parle et s’impose. Au onzième, un gauche-droite envoie Bob au tapis. Jeffries gagne le combat et un surnom : Sa Majesté le Cogneur.
Jeffries enchaîne les succès. Il devient le champion du monde incontesté des poids lourds. Fitzsimmons, Sharkey, Corbett, tous tentent leur chance à nouveau et en sont pour leur frais. A chaque fois, les punchs de Jeffries stoppent prématurément les débats.
Mais Jeffries n’aime pas la boxe. A 28 ans, invaincu, il quitte les rings pour retrouver sa chère nature.
Pendant qu’il coule des jours paisibles dans sa ferme, près de Los Angeles, c’est la révolution sur le ring. En 1909, cinq ans après la retraite de Jeffries, Jack Johnson est revenu d’Australie le titre de champion du monde des lourds dans la musette. Problème, Jack est Noir. Et pas du genre à faire profil bas. Ses provocations ulcèrent l’Amérique bien pensante. La tête de Johnson est mise à prix, mais tous les challengers subissent sa loi. Jeffries apparaît rapidement comme le seul capable de mettre fin à cette mascarade. A 33 ans, il est encore en âge, invaincu, et, surtout, il n’a pas disputé le combat de trop.
Jeffries n’a aucune intention de remettre le couvert. Encore moins contre un boxeur du calibre de Jack Johnson et sans match préparatoire. C’est la pression populaire, intenable, qui le sort de sa retraite. Une petite fille tout en nattes et jupette suppliant Jeffries en une du Chicago Tribune emporte, notamment, sa décision. La presse s’emballe mais le Grand Espoir Blanc est le dernier à croire en ses chances.
Le 4 juillet 1910, Jeffries monte sur le ring de la petite ville de Reno comme on va à l’abattoir. Sa silhouette, empâtée, ne prête pas à l’optimisme. En face, Johnson, dans sa culotte rouge, a l’air affûté. Le combat est à sens unique. Au 3ème, Jeffries saigne déjà abondamment, et cherche son souffle. Exception faite d’un coup de revolver tiré par un spectateur enragé et passé au travers des fouilles policières, Johnson n’est jamais en danger. Il fait durer le plaisir, couvre Jeffries d’injures et de sarcasmes. Au quinzième round, un de ses uppercuts l’envoie à travers les cordes. Jeffries se relève puis chute à nouveau, durement touché par un crochet à l’oreille. Son coin jette l’éponge.
Le Grand Espoir Blanc est tombé. L’Amérique est à feu et à sang. Les célébrations des Noirs sont durement réprimées. Jim Jeffries regagne sa ferme. On ne l’en sortira plus.
NZ