TOKYO CHAT avec Karim Ben Ismaïl, plume de la pensée de JÉRÔME LE BANNER
Par cultureboxe le 2 janvier 2025
K1, Tokyo, Yakuzas, chiens de combat, Bruce Lee… En retraçant les aventures du samouraï Jérôme Le Banner, cet hyper-sensible qui s’est jeté dans l’ultra violence, Karim Ben Ismaïl, grand reporter à L’Équipe et ami de la maison, signe un texte qui parlera à toute une génération. La mienne. Une bonne raison de décrocher mon téléphone. Allô ?
Dans les dédicaces, Le Banner dit que tu es la plume de sa pensée.
C’est ce que j’ai essayé d’être. C’est un mec tellement énorme, tellement colossal qu’il faut s’y consacrer. C’est pas un bouquin que tu fais en rentrant chez toi le soir entre 20h et 23h. Moi, j’étais là-bas pour ce que je pensais être son dernier combat. En fait, il avait dit que c’était son dernier, puis il en a refait un. Il a pris un KO qui a été encore plus terrible. Je suis resté sept semaines au Japon, dans un petit appartement en face du Tokyo Dome, parce que je voulais retrouver cette énergie que j’avais connue il y a 30 ans. C’était mon premier reportage à l’Équipe.
Pour revenir à Jérôme, je m’y suis consacré et il valait mieux parce que parfois c’était douloureux. Sur des trucs, je suis sorti vidé, mais rempli. Je pense que j’ai découvert que c’était un ultra-sensible, un hyper-sensible qui voulait tellement se fuir qu’il s’est jeté dans l’ultra-violence. C’est le paradoxe. Et d’ailleurs, il le dit lui-même : « je suis un oxymore ».
Le Jérôme que j’ai rencontré quand on a renoué le lien il y a quelques mois, c’est un mec qui s’intéressait à la pensée juive. Il y est venu par des choses très concrètes, par la loi du talion. C’est quelqu’un qui parle comme ça, vachement bourru, mais qui a une vraie gentillesse. Il est très dur à suivre. Il commence une phrase par une idée, et il la termine par une autre.
J’ai compris en l’écoutant vraiment, et je pense que notre métier de journaliste est un métier d’écoute, qu’il y avait un lien entre ce qui semblait ne pas avoir de lien. Le lien entre ses digressions, c’est le fil de ses émotions.
J’ai l’impression qu’il y a beaucoup de très bons combattants qui ont une sensibilité particulière, surdéveloppée.
Je veux pas faire l’ancien combattant mais ça fait 35 ans que je suis des combattants et parmi les dénominateurs communs, il y a la colère. Ça peut être de la colère contre l’autre ou contre soi-même.
Quand tu t’en sers, quand tu arrives à raffiner le truc, ça devient un carburant, un combustible. Et ça t’amène très loin. C’est ce qui te fais gagner. Le problème, c’est que gagner c’est pas être heureux. Les mecs sont prisonniers d’eux-mêmes.
Un jour, Cyrille Diabaté m’a envoyé un texto magnifique. Il m’a dit : « Je ne veux plus rentrer dans la cage. Je crois que je suis guéri, j’ai eu ma fille maintenant ». Le mec était d’une lucidité. Dans ces sports-là tu ne peux pas te mentir.
C’est aussi ce que j’ai ressenti en lisant Tokyo Fight, par exemple quand Le Banner dit qu’un combattant est un élu parce qu’il a accès à des confins intimes que peu de gens iront explorer. On pourrait presque parler de shots de drogue. À chaque fois que tu montes sur le ring, il se passe quelque chose dans ta vie, intérieurement, existentiellement…
C’est intéressant le parallèle avec le shot de drogue. Pour Jérôme, dans la drogue, il y avait une forme d’exploration comparable à la boxe. Quand tu combats, tu t’explores toi-même avec tes appréhensions, tes peurs. Peut-être qu’il en avait fait le tour. Il a été voir autre chose. Il s’est mis encore plus en danger que face à un mec avec deux poings, deux tibias et deux genoux. Même avec la drogue, il a poussé le curseur à fond.
Ça me fait penser à ce qui se passe quand les mecs raccrochent. Ils n’ont plus leur dose et ça fait des mystiques des alcoolos des drogués, des braqueurs…
C’est tellement intense. Il y a l’autre et il y a toi-même. Tu te souviens de ce que disait Cus D’Amato à Mike Tyson ? Ton adversaire ne sera jamais aussi grand, aussi gros, aussi puissant que dans ta tête. Tu le vois dans le regard de Mike Tyson : le mec revient de loin. Il a été aux confins de la violence, de la drogue, du sexe…
Et en même temps il y a un prix à payer. Dans Tokyo Fight, tu sens que ce n’est pas anodin de mener une existence comme celle-ci…
Ce que je trouve fabuleux, ce qui m’a donné de l’énergie pour me consacrer à Jérôme, c’est que c’est un mec qui est devenu star sans avoir cherché à l’être alors qu’aujourd’hui les mecs font des vidéos sans avoir rien accompli.
Même s’il a beaucoup gagné, je me suis demandé si mon affection pour lui n’était pas un peu liée à notre amour des perdants magnifiques : il n’a jamais gagné le K1 alors qu’il en avait les moyens. On devrait peut-être le ranger avec Poulidor, le XV de France de 95, Séville 82…
C’est intéressant parce que les Japonais ont une fascination pour les perdants magnifiques, les causes perdues. Dans leur esprit, Jérôme Le Banner ressemble à Saigō Takamori qui est incarné par l’acteur Ken Watanabe dans le film Le Dernier Samouraï. Il y a une vraie noblesse de l’échec et Jérôme s’inscrit parfaitement là-dedans. Ce n’est pas une star parce qu’il est passé sur Fuji TV, mais pour sa résilience. Jérôme Le Banner au Japon est plus aimé que Teddy Riner. Il y a une forme de respect pour Teddy mais je crois qu’aux jeux de Tokyo, ils n’ont pas apprécié sa réaction face à la défaite. Face à Hoost, Jérôme a le bras trois fois cassé et il repart au combat Jérôme il s’est fait mettre deux fois KO par Peter Aerts et il demande à le reprendre.
J’ai rencontré des gens qui te disent que Jérôme a changé leur vie. Dans le dernier chapitre, on a publié la lettre d’un géomètre de 50 balais. Il te parle d’un enseignement, pas de boxe.
En parlant de boxe, il y a eu quelque chose avec Don King. Pourquoi ça n’a pas été plus loin ?
Tu sais, j’ai découvert en écrivant ce livre qu’en mars 1996, il avait failli combattre Vitali Klitschko en full contact. Un fan japonais m’a envoyé l’affiche. Le combat ne se fera jamais mais tu te dis qu’il aurait pu changer la face de la boxe. Personne ne le sait et ça montre à quel point Jérôme Le Banner est sous-estimé en France.
Le problème de Jérôme avec la boxe dépasse la technique. Il faut passer sous les fourches caudines, il faut se soumettre à certaines choses. C’est un chien fou. Il le dit lui-même : je préfère être un chien fou qu’aller à la niche.
Pour faire carrière, il aurait fallu être encadré par Don Turner, une vie dédiée. Je crois que le Japon, c’est une aventure qui le remplissait beaucoup plus. C’est un explorateur. Il a exploré toutes ces dimensions de la boxe, le catch, le MMA. Il n’est pas reconnu en France mais c’est le Godfather des sports de combat. Il n’y a pas beaucoup de gens qui sortent de leur zone de confort comme ça.
Il y a quelques années, il avait aidé Duhaupas pour son combat contre Yoka. Tu en as eu des échos ?
Non mais je sais qu’il aide beaucoup. C’est un mec qui n’a pas reçu d’amour de sa mère donc il se sent illégitime. Il s’est toujours mis dans la position de l’humble qui va faire le sparring. Avant son avant-dernier combat au Japon, il s’était blessé en faisant le sparring pour Nassourdine Imavov. Le nombre de mecs pour qui il a fait le sparring, c’est juste incroyable.
Tokyo Fight, Jérôme Le Banner, Karim Ben Ismaïl, Éditions Les Arènes
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