Bernard Shaw a toujours voulu écrire sur la boxe. Il l’a d’ailleurs pratiquée, causant une certaine indignation dans les salons londoniens. Puis il a fini par sauter le pas en commettant Cashel Byron gentleman et boxeur, un roman d’aventure à la fois sympathique et caricatural. Le genre de bouquin pour adolescents qui voit le héros boxeur s’extraire de sa condition, tomber amoureux d’une femme a priori trop riche pour lui, ramer comme un forcené pour la conquérir avant l’inévitable final heureux. Tout cela est trop beau pour être vrai. On le sait, les boxeurs finissent mal en général. Dans le genre, on préférera le Battling Malone de Louis Hémon, écrit de l’autre côté de la Manche à peu près à la même époque.
Cela dit, Cashel Byron est une excellente excuse pour évoquer l’amitié entre Gene Tunney, champion poids lourd et deux fois tombeur de Jack Dempsey, et l’auteur. Destins croisés : le boxeur a beau avoir arrêté l’école à quatorze ans, il a toujours un livre sous la main, ce qui lui vaut l’inimitié de certains journalistes sportifs et de ses collègues boxeurs. On le dit prétentieux et on l’accuse de noyer son fighting spirit dans un bouillon de culture. Bernard Shaw, qui est l’un de ses auteurs préférés, à tel point qu’un buste et un cadre ornent son salon, a fait le chemin inverse. Il a payé son dû sur le ring, puis il s’est mis à écrire. Sa fascination pour les boxeurs fait tiquer dans la haute société londonienne. Il est fort probable qu’il se soit inspiré de Tunney pour dessiner le portrait de Cashel Byron, gentleman et boxeur. Sauf que le principal intéressé a estimé que le héros n’était pas crédible. Pas suffisant pour brouiller les deux hommes. Ils ont beau avoir quarante ans d’écart, ils s’écrivent et se rendent régulièrement visite. En 1929, ils passent même un mois de vacances ensemble à parler de boxe et de littérature sur un pied d’égalité.
On aurait pu rêver à un livre d’entretiens ou à la biographie de l’un par l’autre. Ça ne coûte rien. Faute de mieux, on se console avec Cashel Byron.
NZ