Tout plutôt qu’un vrai boulot — Tex Cobb (42-7-1)

Culture Boxe

II – La boxe ne ment pas

Jusqu’en 1986, année de son sacre, le jeune homme n’entend plus qu’une seule voix, celle qui guide les champions vers leur destin. Celle de d’Amato lui répète : « Tu seras champion du monde », tandis que lui, incrédule, pense d’abord que ce vieil homme est fou. Mais Cus a simplement les yeux qui brillent devant l’étonnante musculature de ce gamin de 14 ans pesant 85 kilos !

Pour le reste, rien n’est laissé au hasard : plus que jamais, l’entraînement devient une véritable domestication du corps et de l’âme. Ce poids lourd travaille sans relâche pour acquérir les armes les plus redoutables de l’art, la vitesse et la précision, jusqu’à atteindre une perfection jamais égalée dans cette catégorie. Dans la tête de son poulain, Cus injecte aussi quotidiennement des sentences indélébiles sur l’esprit du guerrier et Mike médite, fasciné. En même temps, il est assommé d’encouragements, de compliments, de preuves d’admiration, à tel point qu’il croit que Cus a le béguin ! Plus tard, il comprend que son coach ne fait que booster sa confiance en lui au maximum et le résultat sera impressionnant.

Les ressources psychologiques de Tyson deviendront le moteur de cette machine à KO :

« Je tirais les ficelles, je savais les battre psychologiquement avant même d’être monté sur le ring. (…). Quand je sors du vestiaire, la confiance m’habite mais je suis mort de peur. J’ai trop peur, peur de tout. Peur de perdre, d’être humilié, mais j’ai confiance. Plus j’approche du ring, plus j’ai confiance. Pendant mon entraînement, ce mec m’a fait peur. Je me disais qu’il pourrait me battre. J’ai rêvé qu’il l’emportait. Mais plus j’approche du ring, plus j’ai confiance. Une fois sur le ring, je suis un dieu imbattable. »

Quand le combat commence, il est déjà vainqueur. Ajoutez à tout ça que le gamin passe tout son temps libre à regarder les stars de ce sport en vidéo, à analyser leurs gestes, connaissant tous les enchaînements par cœur : vous obtenez une mécanique sans défauts, programmée pour le titre. Aux J.O. juniors, il assassine ses opposants, tous K.O. au premier round. En final, il devient médaille d’or en 8 secondes. Dieu imbattable.

Son combat contre Trévor Berbick, le 22 novembre 1986, est une formalité. Encore un K.O. expéditif et spectaculaire : rien ne pouvait empêcher Tyson d’obtenir le titre de champion du monde poids lourds. Interviewé au centre du ring sur son avenir, il lance excité : « Unifier les ceintures ! », comme un clairvoyant sachant exactement de quoi son destin est fait. Ses désirs deviennent vite réalité et Tyson apparaît enfin comme le plus grand boxeur de son temps. Un champion redouté, tout simplement trop fort, un joyau taillé par la boxe. Cus d’Amato est mort sans voir ce pour quoi il a tant travaillé, emporté par une pneumonie en 1985, mais sa disparition ne pouvait rien changer au chemin tout tracé de son élève.

Qui est Mike Tyson ? Un virtuose du corps à corps, un guerrier surdoué à l’intelligence pugilistique hors-normes, l’esclave génial des exigences de ce sport impitoyable où seuls les Très Grands entrent dans l’histoire.

Pourtant le « bad » Mike ne disparaît pas et ressurgit même sans attendre. La boxe est ombre et lumière, surtout lorsqu’on pénètre l’univers pro : les champions mettent les pieds dans le tapis des promoteurs aux dents longues et des médias fanatiques. Ce sont les derniers géniteurs de ce qu’est devenu Tyson. Encore trop jeune, il est adopté par ces vautours dont Don King est le roi et poursuivi sans relâche par les journalistes reniflant le scandale. Dans cette balance, le côté obscur de la boxe gagne régulièrement, transformant les héros en pantins. Et les ficelles qui traînent Mike en prison sont poisseuses : mélange de fric et de sexe, le tout sous l’œil des caméras et des « amis » malveillants. Cet univers est sans aucun doute plus vicieux encore que celui où Mike a vu le jour. Pour lui, un simple champion ne nourrit pas assez le business et Tyson a la tête de l’emploi, on en fait facilement un malfrat épris de violence sur et en-dehors du ring, un asocial, une bête féroce.

Heureusement, la boxe ne ment pas. Tyson, la nouvelle créature du star-system sonne faux, ne tient plus la distance et perd ses titres. Alors, à sa sortie de prison, il retourne à sa vraie famille : la sueur de l’entraînement ; il retrouve son âme de guerrier, sa concentration quasi-mystique. Une dernière fois, il va montrer au monde sa véritable identité, sur le ring où les hommes sont mis à nu. Mike Tyson redevient champion du monde poids-lourds, unifie les ceintures. Le reste est accessoire, il n’y a plus rien à prouver.

felix.cultureboxe@gmail.com

THE FIRST QUESTION IS « WHO AM I? », Mike Tyson