Tupac Shakur et Mike Tyson. Chacun sa scène mais un seul et même combat : décrocher la lune. Deux incompris dont on reconnaît le talent tout en craignant ce qu’ils représentent : les bas-fonds de l’Amérique pourris par les années crack et la récession.
L’école de la rue, ils connaissent. Ils ont même sauté des classes. A treize ans, Tyson a déjà été arrêté trente-huit fois. Au même âge, Tupac traîne sur les bancs de Baltimore et pose les premiers vers de sa poésie du ghetto. Tous les chemins les ramènent à la rue, mais ils savent apprécier la valeur du détour. Tyson est devenu Iron Mike sous la coupe de Cus D’Amato, dans la paisible campagne de Catskills. Pendant des années, il a travaillé sans relâche, pour acquérir vitesse et précision. Le poète et le boxeur sont frères. L’un place des coups, l’autre des syllabes. Avec le même sens du rythme. Le flow. Tupac a fait un crochet par l’université et le théâtre. Les deux hommes ont le respect des anciens, qu’ils se nomment Shakespeare ou Joe Louis. Et la même volonté de prendre ce qui leur est dû : l’argent, la gloire, le succès… Quitte à foncer dans le tas.
En chemin, on les a taxé d’arrogance. Il en faut pour monter sur le ring ou se produire sur scène. Il faut croire en soi. En hip hop comme en boxe, il est question de respect, d’orgueil et d’honneur. De street credibility. Avec le risque de devenir identique au personnage que l’on incarne. Vivre comme on rappe ou comme on boxe n’est pas de tout repos. Un chassé-croisé sous les verrous. De mauvaises fréquentations. Un mentor peu recommandable qui fait son beurre sur leurs épaules de champion. Les mêmes forces destructrices, la même pulsion de mort. Tupac a payé cash son addition. Tyson, en plusieurs versements. L’un a reçu des balles, l’autre des coups.
La prison. Tupac y était prédestiné. Il l’avait fréquenté avant même de voir le jour, dans le ventre de sa mère, militante Black Panther. Il a manqué de ne jamais y retourner. En 1994, il a reçu cinq balles, dont deux dans la tête, dans les studios Quad à Manhattan, la veille du verdict de son procès. Ressuscité puis emprisonné pour agression sexuelle, il n’aura de cesse de ruminer l’incident. Et d’accuser les rappeurs de la Côte Est d’avoir voulu le rayer du tableau. Mike Tyson a connu l’enfermement, lui aussi. Trois ans pour viol. Les deux inculpés nieront jusqu’au bout.
Entre quatre murs, les bêtes de scène sont devenus lions en cage. Ils ne s’en sont pas vantés. Ils ont appelé leurs frères à éviter la case prison. Là-bas, on fait passer le tour d’horloge comme on peut. Ils ont lu, écrit, médité sur leur passé et envisagé l’avenir. Au parloir, Tupac annonçait qu’il ne lui restait plus beaucoup de temps et qu’il était décidé à ne pas le gâcher. Au-delà du bling-bling, des voitures de sport et des bouteilles de Hennessy, il peignait la réalité : la violence et la misère du ghetto. Tupac avait la « Thug Life » dans la peau. Il en a fait un programme politique : se servir des qualités déployées dans la rue pour s’organiser en communauté, faire du business, chasser le crack des quartiers, protéger les femmes et les enfants… Une sorte de rêve américain appliqué au ghetto.
Mike Tyson a beau avoir Mao et le Che gravés sur le corps, il est davantage un symbole qu’un théoricien. L’expression d’une rébellion contre l’ordre établi. Il faisait ce qu’il voulait. Comme ce tatouage maori sur la tronche.
Tupac Shakur et Mike Tyson. La première fois que leurs routes se sont croisées, à la fin des années quatre-vingt, le jeune champion avait fait entrer l’ado mal fagoté dans un club de Sunset Boulevard, à Hollywood. Le 7 septembre 1996, ils avaient prévu de se retrouver au Club 662 pour célébrer la victoire de Mike Tyson. Bruce Sheldon n’avait tenu qu’un round. Tupac s’est fait descendre en chemin. Ce soir-là, plus de sang a été versé hors du ring que sur le ring. Deux mois plus tard, Tyson a perdu sa ceinture de champion du monde, devant Evander Holyfield.
On en est resté comme deux ronds de flan. On les croyait indestructibles, les frères de sang.
NZ
Article initialement publié dans All Eyez On Me n°2